Texte rédigé sur base de la conférence tenue à l’École d’Architecture de Nancy le 18 novembre 2019.
Pierre Janin est architecte et titulaire d’un master 2 architecture et philosophie. Il a fondé en 2007 avec son frère Rémi Janin, ingénieur paysagiste, l’agence Fabriques Architectures Paysages basée à Vernand sur le lieu de l’exploitation agricole familiale. En 2010, une seconde agence est créée à Lyon au cœur du quartier de la Croix Rousse afin d’associer les problématiques rurales et urbaines.
Dans le cadre de ces rencontres et suite à nos échanges avec les étudiants de master de l’atelier de projet « Mutations », je souhaite revenir sur le contexte particulier dans lequel s’inscrit la création en 2007 à Vernand de notre agence Fabriques Architectures Paysages. Tous deux fils d’agriculteurs, notre passé agricole est capital dans notre façon d’exercer notre pratique. Nous avons ainsi choisi de réaliser en 2006 notre diplôme commun de fin d’études sur l’exploitation agricole familiale, à l’issue duquel nous avons fondé l’agence. À cette période, qui n’est pas si lointaine, nous estimions ces questions et problématiques agricoles peu abordées et nous ne savions pas exactement dans quoi nous mettions les pieds. Finalement, assez rapidement, nous avons pu accéder à la commande publique par le jeu de concours qui nous ont permis de traiter cette thématique.
Ce qui nous caractérise c’est, à la fois, d’essayer de travailler le plus possible entre architectes et paysagistes et de créer des continuités avec les milieux et les situations qui existent, mais également d’engager un rapport, une relation avec l’animal, que ce soit dans les constructions que nous essayons de réaliser, mais aussi dans la fabrique des paysages agricoles. C’est pour cette raison que l’intitulé de la conférence comprend les termes « Homme – Animal », mais aussi « constructions agricoles ». Le premier enjeu sera d’une part d’essayer de relier ces notions et d’autre part d’arriver à percevoir que l’homme est un animal comme un autre. Mais plus encore, de montrer comment on peut aujourd’hui ne pas forcément être dans des perspectives de domination. Nous essayons de le faire en tout cas depuis un certain temps. Le second enjeu sera de considérer en quoi les pratiques d’architecte et de paysagiste peuvent porter sur un accompagnement des relations avec les milieux, mais aussi sur des travaux conjoints et communs avec les animaux.
Pour cela, je souhaiterais vous présenter non pas l’ensemble du travail de l’agence, mais une sélection de bâtiments agricoles que nous avons construits ainsi que quelques études urbaines et agricoles. Celle-ci sera présentée sous le prisme de la thématique de ces Rencontres c’est-à-dire de la relation entre humains et non-humains. Cette interrogation pose d’ailleurs question en soi et il m’a semblé intéressant, après réflexion, de montrer en quoi dans notre travail nous pouvions allier ce qu’on pourrait définir comme étant humains ou non-humains.
Les cinq premiers projets retenus s’inscrivent dans des domaines, des perceptions et des thématiques agricoles et sont disséminés à l’échelle régionale. Ils s’articulent entre l’Auvergne et la zone agricole de Bonneval-sur-Arc située à 1800m d’altitude au fond des Alpes dans une vallée un peu perdue de Haute-Maurienne. Ensuite je présenterai la ferme de Vernand qui est le site sur lequel nous exerçons et qui nous sert surtout de terrain de jeu et de laboratoire d’expérimentations. Et enfin, j’aborderai des pistes d’études en cours qui insistent sur ces dynamiques urbaines et agricoles ainsi que sur les investissements, et un engagement possible de l’agriculture dans la revitalisation des centres-bourgs.
1/ Zone agricole pour neuf bâtiments d’élevage, Bonneval-sur-Arc (73 – Savoie) / 2012-2013
Le projet consiste en la création d’une zone agricole comprenant neuf bâtiments d’élevage (bovins lait, bovins allaitants, ovins et caprins) située à proximité du village de Bonneval-sur-Arc, dans la vallée de la Haute-Maurienne en Savoie. Le village peuplé de 300 habitants en accueille beaucoup plus en saisons hivernale et estivale. Le maître d’ouvrage était une communauté de communes qui a ensuite rétrocédé la zone agricole à la commune afin de la mettre en location auprès des agriculteurs. L’objectif visé par le programme était d’arriver à mettre en place un outil de maintien de l’agriculture dans un village de haute montagne.
Une articulation des échelles paysagères, urbaines et architecturales
L’intérêt pour nous était de parvenir à dépasser cet enjeu car nous avions le sentiment que l’agriculture était reléguée à une activité qu’on ne voulait pas vraiment voir. Ainsi la zone agricole se retrouvait éloignée du village, du centre-bourg, cassant ainsi potentiellement les liens entre l’activité agricole et la pratique domestique courante, mais également les concomitances qui pouvaient exister au sein du village avec les fermes qui se trouvaient dans les sous-sols de certaines habitations. Le risque était que ce lien ne soit plus effectif et conjoint entre les lieux d’habitations et les bâtiments agricoles.
Deux enjeux, se jouant à plusieurs échelles, ont ainsi structuré le projet. Nous avons essayé d’une part de construire un accord entre un ouvrage technique de sécurisation du site, un merlon pare-avalanche[1], dont nous n’avions pas la maîtrise d’œuvre, et d’autre part de concevoir les bâtiments d’élevage comme un ensemble, un tout, un prolongement à la fois des structures urbaines existantes, des trames viaires et de la rivière. Il s’agissait donc ici d’arriver à constituer, non pas une zone agricole isolée, mais d’inclure le projet dans de grandes dynamiques paysagères qui sont celles de la vallée et des trames viaires proches existantes.
Une recherche d’intégration dans le grand paysage de haute montagne
La commune de Bonneval-sur-Arc est le dernier village avant le passage du col de l’Iseran. Nous savions ainsi que le projet allait être vu en surplomb depuis la route. Sans être corbuséens, nous pensions que l’enjeu se situait au niveau de la cinquième façade, c’est-à-dire des toitures. Cet espace pouvait devenir un espace de vie et de manifestation de la présence agricole. Nous avons donc souhaité mettre en place des toitures végétalisées pâturables, utiles à l’agriculture, et aujourd’hui utilisées par un éleveur caprin. Les toitures deviennent une surface agricole supplémentaire où les troupeaux prennent place. Ils occupent cette surface qui n’était pas donnée dans le programme mais qui nous permet de valoriser la présence agricole. Par ailleurs, grâce à l’absence de couvertine et un ajustement des matériaux avec le bardage, nous observons au fil des saisons que ce qui apparaît en hiver ce ne sont plus les grandes étendues de pâtures sous un couvert végétalisé, mais des blocs qui s’ajustent, qui s’alignent les uns aux autres et qui s’assimilent beaucoup plus aux rochers situés en arrière plan. Cette double temporalité est pour nous intéressante dans la construction du projet et son rapport au paysage. En été, le projet constitue un ensemble visible de loin et cohérent avec les pâtures et les prairies proches, et l’hiver, où tout est recouvert sous un manteau neigeux, il laisse apparaître les façades et leur traitement hyper simple. Ce double regard fait que nous pouvons avoir deux lectures du projet dans le paysage.
« La rue commune » et les cours : articuler le collectif et l’intime
Il y avait déjà d’autres zones d’activités agricoles construites dans les villages en dessous, principalement constituées sur des modèles de lotissements de zones à bâtir, avec un bâtiment posé au milieu des parcelles loties. Nous avions ici l’opportunité d’avoir une vision d’ensemble, c’est pourquoi nous en sommes venus à construire non pas un bâtiment puis son espace extérieur de façon indépendante, mais un espace commun qui est celui d’une nouvelle rue. Elle apporte de la cohérence et donne un caractère collectif à ce nouvel espace agricole. Cette rue se décompose ensuite en de petites cours non fermées, donnant accès aux étages des bâtiments ou aux fumières[2], et reprennent la morphologie des ruelles et des venelles que l’on peut trouver dans le village. L’objectif est donc d’articuler deux grandes échelles, celle d’un quartier agricole avec cette nouvelle rue servant la constitution d’un hameau, et une échelle plus intime en offrant des espaces propres à chacun des agriculteurs.
Importance des usages et temporalités des pratiques agricoles
L’idée sous-jacente à cette rue commune, constituée par des bâtiments agricoles dont des granges qui sont des édifices conséquents, a été d’intégrer ces notions de vie et de vitalité liées aux pratiques rurales. Celles-ci posent notamment la question du traitement des abords et il est important et intéressant pour nous d’établir un rapport à une rue vivante où de temps en temps il y ait un peu de bordel, mais que cela ne soit pas gênant car c’est intégré. Cela permet de mettre en évidence les cycles de vie, d’animation, les temporalités, les rythmes et les saisons du travail agricole.
Un dispositif assez simple permet également de faire fonctionner le projet de manière gravitaire. L’étage en béton est celui des animaux, l’étage au-dessus celui des granges et enfin la toiture est celui de la pâture. L’important était d’arriver à construire une zone d’activité qui, par ses parcelles communes, constitue des espaces où les édifices interagissent entre eux. Ainsi le mode de gestion est commun et on crée des ressauts, des fonds de cours, pour éviter l’établissement de barrières ou d’une quelconque limite. C’était un combat pour y parvenir puisqu’il s’agit d’une installation classée au titre de « l’environnement ». Le préfet voulait au départ qu’il y ait des clôtures, mais nous avons exigé qu’elles ne soient pas mises en place. Nous avons alors un espace qui est relativement libre et qui peut être approprié par tous. De plus, les notions de temporalités sont importantes à prendre en compte. L’hiver, les bâtiments sont fermés, complètement clos, et cet espace commun n’existe plus vraiment. Il devient une étendue blanche et les agriculteurs investissent l’intérieur de leurs bâtiments.
Dimensions constructives : ressources, mises en oeuvre, localités, réductions des impacts liés à la construction, sobriété
La question de la ressource est importante pour nous. Avec quoi construisons-nous sur ce site préservé, en périphérie du périmètre des 500 mètres autour du Parc national de la Vanoise ? La question constructive est un enjeu crucial. Ainsi nous avons des parties en béton, que nous appelons « béton agricole », c’est-à-dire que nous avons des exigences économiques, et nous n’avons pas forcément le souhait de le refaire s’il y a des choses qui ne vont pas. Ces éléments en béton sont construits à l’aide d’une centrale mise en place sur le site. Pendant la durée du chantier, il n’y a donc pas eu d’allers et venues de camions remplis de toupies de béton, avec de l’eau, et prenant trop de volume en empiétant sur les routes. Ce premier dispositif peut sembler assez sommaire mais possède pour nous son importance. Ensuite, il y a toute la construction réalisée en bois local. Le bardage est en mélèze, le reste est en douglas avec des bois qui proviennent essentiellement de la région et des Alpes.
Et enfin, un enjeu du projet a été de réaliser la dernière strate, celle de la couverture. Celle-ci n’a pas été conçue avec de la terre et une végétation qui seraient exogènes, qui viendraient d’ailleurs, ou qui seraient standardisées, mais avec la terre du site que nous avons retirée et ensuite amendée[3] pendant le temps du projet. Nous l’avons ensuite alimentée avec des graines issues des fonds de granges du village, pour parvenir à mettre en place une couverture végétalisée, de 30 cm d’épaisseur, qui soit productive et surtout se patine avec le temps, pour avoir la même teinte que les parcelles agricoles des fonds de vallée et des prairies proches.
Les détails sont pour nous importants et essentiels même s’il s’agit d’un projet agricole. Souvent dans un tel projet, l’économie prime sur tout. Pour notre part, nous avons essayé de dire que nous pouvons être économiques tout en portant une grande attention aux détails. Mais également sensibiliser les entreprises en leur montrant que, sans surcoût, il est possible d’obtenir quelque chose de propre, sobre, efficient et qui vieillit de manière ajustée et maitrisée. Cette sobriété se retrouve également à l’intérieur. Par exemple, il y a le béton, avec les traits de niveaux apparents, et il n’y a pas de second oeuvre. C’est un bâtiment agricole que nous admettons quelque part tel qu’il est et tel qu’il se présente.
Une conception en collaboration permettant de réinterroger les pratiques agricoles
Dans ce projet et particulièrement dans le dessin des stabulations, tout le travail a mené à une réinterrogation complète du programme, pour inscrire le projet dans un système agricole beaucoup plus large. Ainsi, les étables sont habituellement construites en travées, c’est-à-dire que les bêtes sont à l’attache le temps de l’hivernage[4]. Ici c’est pour une durée de 7 mois, ce qui est assez long. Nous avons gagné le concours grâce au dessin de ces étables en travées. C’était notre première compétition donc nous ne pouvions pas savoir s’il était possible et dans quelle mesure d’aller au-delà, de déroger au programme. Après l’avoir gagné, nous avons dit aux agriculteurs que nous trouvions extrêmement dommage d’attacher les bêtes pendant 7 mois. Le travail que nous avons fait a été dans le but de mettre en place des stabulations libres, des espaces où les animaux ne sont pas à l’attache. Ce n’était pas du tout dans la culture des agriculteurs donc nous avons eu recours à tout un travail de sensibilisation, d’accompagnement avec des techniciens de la Chambre d’agriculture pour parvenir à ce résultat, tout en mesurant les problèmes que ce mode en stabulation libre pouvait faire surgir.
Les étables sont également sur caillebotis[5]. Il y a donc des fosses en-dessous du bâtiment dans lesquelles le lisier est récupéré. Celui-ci pose beaucoup de problèmes olfactifs mais aussi d’apport de matières. Nous avons ainsi trouvé un système de traitement du lisier permettant durant l’hiver de séparer les phases liquides et solides en créant deux types d’amendement. Le système est intéressant pour les agriculteurs car les prairies de fond de vallée sont les seules véritablement mécanisables, et initialement ils y épandaient tous leurs amendements. Ceux-ci étant très forts, il en résultait un foin avec des brins beaucoup trop importants. À présent, seule la phase liquide, un peu plus pauvre, amende ces prairies de fond de vallée, permettant ainsi d’avoir un foin beaucoup plus apte à la consommation des animaux et surtout beaucoup plus riche, avec de l’herbe beaucoup plus fine. La phase solide, quant à elle, peut être mise en place dans les espaces d’estives[6] qui avant cela étaient beaucoup moins amendés.
Bien que ces informations soient techniques, il est important de comprendre qu’une réinterrogation du programme peut faire émerger des problématiques devenant sources de projet, d’intégration et de construction d’un nouveau système de gestion des amendements et de requalification des sols et des paysages.
Les constructions agricoles : une appropriation commune entre humains et non-humains
Par ailleurs, des conflits entre les neuf agriculteurs un peu bourrus concernés par le projet nous ont encouragés à mener une concertation pour présenter le plan à tous les agriculteurs. Nous nous sommes rendus compte au bout d’un certain temps qu’ils ne nous écoutaient pas. En les consultant de manière individuelle, nous nous sommes aperçus que leurs interrogations concernaient leurs emplacements et leur volonté ou non de se retrouver à côté de tel collègue, et nous avons en fait compris la présence de guerres ancestrales de village. Nous avons livré le projet en 2012 – 2013 et depuis, avec l’arrivée d’une nouvelle génération et des transmissions d’exploitations qui se sont faites, nous avons senti lors de nos retours réguliers qu’une culture collective commençait à se mettre en place et à exister, de même que des collaborations entre agriculteurs. Nous voyons aujourd’hui que l’espace joue beaucoup sur une certaine forme de mise en commun et d’appréciation du rôle que les agriculteurs peuvent avoir, comme sur la reconstitution d’une communauté rurale plutôt positive. Nous avons construit les « carcasses » et conçu l’ensemble de l’organisation des bâtiments, puis nous avons laissé faire les agriculteurs. Par exemple, nous n’avons pas choisi la peinture verte sur les murs. Nous sommes arrivés un jour et c’était peint. Et un autre agriculteur a construit une cloison avec une photo de sa grand-mère. Nous trouvons cela très bien, ce sont eux qui choisissent et définissent leurs espaces intérieurs. Ce sont quelque part des accidents de projets mais qui nous semblent intéressants. En tant qu’architectes, nous trouvons que les enjeux de ce projet sont dans l’interrogation du programme, le fait d’intégrer et de penser les notions de bien-être animal, en faisant en sorte que les animaux ne soient pas attachés pendant une durée trop longue, et de rendre possible une appropriation, une personnalisation de chacun des bâtiments.
2/ Dispositif expérimental ovins et bovins, Laqueuille (63 – Puy-de-Dôme) / 201
Le projet consiste en la construction de quatre nouveaux bâtiments pour l’unité expérimentale Herbipôle de Laqueuille. Ceux-ci répondent à un besoin d’outil pour la recherche sur les ruminants en climat de montagne en agriculture biologique. Ce dispositif expérimental pour ovins et bovins a été commandé par l’INRA[7] Auvergne Rhône Alpes. C’est un maître d’ouvrage avec lequel nous collaborons de façon relativement régulière. Nous avions déjà réalisé un projet pour eux, ainsi la maîtrise d’ouvrage nous a invité à répondre à ce petit projet dont le nom de code était Tunlac. Nous avons accepté car nous essayons de travailler avec eux lorsque nous nous sentons en accord avec le programme et le projet.
Il s’agit donc ici de mettre en œuvre un dispositif qui permet, d’après les dernières expérimentations menées, de substituer au système de litières accumulées par paille, des systèmes de litières accumulées sur filière copeaux. La paille du premier système peut provenir pour les élevages de montagne d’assez loin tandis que le second permet de rendre possible un approvisionnement local.
Des programmes architecturaux au service de la recherche agricole
L’INRA souhaitait au départ créer des tunnels sous bâche de forme cintrée. Au regard des conditions d’altitude, nous avons estimé que cette solution n’était pas justifiée. Ainsi, au moment de l’appel d’offre, nous sommes allés consulter un charpentier pour lui demander s’il était possible de réaliser, pour le même prix, un édifice en bois local. Grâce à ce chiffrage cohérent, nous sommes parvenus à convaincre le maître d’ouvrage petit à petit. Il est aujourd’hui très satisfait du bâtiment et d’avoir pu changer son système de pensée afin de ne plus construire des tunnels mais des bâtiments en dur.
Intégration du projet dans le paysage de haute montagne
Pour construire cette entité expérimentale de quatre bâtiments, nous devions rester dans une relation d’économie et engager un travail assez fin. La solution la plus simple aurait été que l’on terrasse une plate-forme droite afin de poser les quatre bâtiments dessus. À l’inverse, nous avons essayé d’ajuster le plus possible cet ensemble avec le site et de créer des cheminements intermédiaires. Ainsi, de façon similaire au projet de Bonneval-sur-Arc, nous retrouvons cette disposition de bâtiments intercalés les uns aux autres avec une présence concomitante. Des ajustements légers dans la pente ont été faits, ce qui permet, depuis l’extérieur, de ne pas avoir le sentiment d’arriver sur une grande parcelle au milieu de laquelle nous aurions posé un édifice, comme cela peut être le cas dans un bon nombre de bâtiments de zones d’activités. Il s’agit ici plutôt d’un ensemble d’édifices constitués qui s’articulent les uns aux autres de façon à créer une sorte de rue ou de cour agricole. La volonté de conserver les arbres est aussi un détail qui a son importance. Nous avons fait en sorte que les bâtiments s’ajustent aux arbres présents, en utilisant les bénéfices qu’ils peuvent apporter.
Nous avons aussi voulu revendiquer une forme architecturale qui s’inscrit dans les constructions typiques que nous pouvons avoir en Haute-Auvergne : les burons[8], construits sur de fortes pentes. Nous nous inscrivons dans ce registre avec des bâtiments agricoles neufs qui sont dans une logique économique tout à fait valable. Le prix de ce projet se situe dans une fourchette comprise entre 400 et 500 euros du mètre carré. Ce n’est pas grand chose pour un bâtiment construit en altitude.
Limiter l’empreinte environnementale : ressources locales, conception adaptée au territoire de haute montagne, simplicité technique, durabilité
En tant qu’architectes, nous nous devons de répondre et de fournir une maîtrise du détail. Ici, malgré la mise en place de dispositifs très simples, ces détails imposent une certaine exigence et le fait de devoir convaincre sans cesse les entreprises. Sur l’emploi de la ressource notamment, il s’agit d’une construction en bois local, provenant de 100 km à la ronde environ, ce qui permet d’assurer son renouvellement lors du vieillissement du bois en façade. Celui-ci étant maîtrisé avec une patine qui va durer dans le temps. De plus, nous n’avons pas d’« accident » sur la façade, et les portails coulissent, guidés par un rail glissé derrière celle-ci.
Nous n’avons également aucun débord de toiture. Le toit s’uniformise de façon homogène, en évitant tout recours aux gouttières. En effet, en altitude cela permet d’éviter des zingueries ou des ouvrages qui risquent d’être précaires dans le temps, car susceptibles de se dégrader avec le poids de la neige et du gel. Nous récupérons donc toutes les eaux aux pieds des bâtiments pour faire ensuite un système de drainage relié à un bassin de rétention situé en-dessous, qui n’est pas seulement un ouvrage fonctionnel mais aussi une grande noue plantée. La construction est aussi ventilée de manière naturelle, et à 1000 mètres d’altitude ce n’est pas quelque chose d’évident. Les entrées de ventilation se font ainsi sous le décalage de façade, par des dispositifs hyper simples.
Avec du bac acier, du polycarbonate, des matériaux agricoles pauvres, nous avons tenté d’être dans la maîtrise la plus complète du détail dans sa pure simplicité. Le traitement de tous ces détails permet d’assurer la pérennité du matériau mais aussi de renforcer une lecture simple et évidente, la plus basique possible, du volume et de la forme typique que nous voulions reprendre : le buron. En comparant avec la solution d’un tunnel bâché, sombre et noir, nous estimons que cela change beaucoup de choses par rapport aux questions de bien-être animal.
Ce projet est essentiel pour nous dans le sens où il s’agit d’un combat nécessitant de discuter avec le maître d’ouvrage, de l’interroger, voire de le provoquer, pour remettre en cause son système de pensée afin de tenter d’améliorer la qualité bâtie des programmes qui peuvent être engagés. La seule raison qui l’a poussé à considérer la solution des tunnels est que c’était plus simple et plus économique à première vue. Nous avons tenté de remettre en cause ces pensées établies, comme le sentiment qu’une construction éphémère coûte moins cher qu’une construction plus pérenne.
3/ Bâtiment d’élevage expérimental, Marcenat (15 – Cantal) / 2014
Le projet de bâtiment d’élevage de Marcenat, commandé par l’INRA de Clermont Theix, consiste en la construction d’une grande stabulation expérimentale à 1100 mètres d’altitude sur le plateau du Cézallier, dans le Cantal.
À l’intersection des échelles paysagère et architecturale : le traitement des abords
Le problème récurrent de l’inscription paysagère du bâti agricole ne réside pas dans les constructions en tant que telles. Souvent, un édifice agricole récent peut présenter des formes et des typologies intéressantes. Il réside plutôt dans l’ensemble des circulations périphériques, la gestion des abords et le manque de relations entre le bâti et l’espace agricole. Un bâtiment d’activité ou une maison pavillonnaire ont finalement les mêmes problèmes, de typologie d’une part, et d’inclusion d’une réflexion préalable sur les aménagements d’autre part, sans quoi il est considéré convenable d’implanter un édifice au milieu d’une parcelle. Ici, tout l’enjeu a été de se demander comment nous pouvions faire en sorte que cet objet construit vienne se confronter à une limite agricole, et qu’il n’y ait pas de cheminements qui empiètent sur l’espace agricole, entravant un rapport simple et possible entre l’espace agricole et la façade.
La recherche d’une unité architecturale
Nous avons réalisé un « bâtiment-infrastructure » sous lequel l’ensemble des annexes agricoles prennent place. Il s’agit d’un seul et même grand couvert. Nous y retrouvons l’ensemble des éléments de stockage, le stockage du fourrage, les fumières, les espaces de traitement des déjections et les fosses enterrées qui induisent un système gravitaire assez simple d’évacuation du lisier. Le bâtiment s’inscrit dans la pente donc les fumiers coulent avec des racleurs de manière naturelle dans la fosse. Tout est enterré, il n’y a donc pas de fosses à lisiers extérieures. Les bâtiments agricoles possèdent souvent beaucoup de fosses et d’ouvrages en béton connexes, multipliant et disséminant les constructions agricoles.
Limiter l’artificialisation des sols
L’un des enjeux importants de ce projet concerne également l’artificialisation des sols. On estime assez justement que la production urbaine consomme beaucoup d’espace, mais la même problématique se pose au niveau des constructions agricoles. Éviter la démultiplication des circulations agricoles périphériques extérieures permet ici d’économiser 2000 à 3000 mètres carrés. Cela correspond presque à un petit lotissement, ce qui n’est pas rien. Il faut donc comprendre qu’à tous les niveaux cette question de compacité, de mesure et d’économie d’espace, se pense aussi dans les constructions agricoles. Nous avons ainsi cherché à obtenir une surface nette entre l’espace agricole et la façade.
Tisser des liens entre le monde rural et urbain
Le projet se situe à l’entrée du village de Marcenat. L’INRA est l’un des principaux employeurs de la commune mais il y a aussi d’autres activités et d’autres personnes qui y habitent. Nous avons ainsi souhaité que les activités, au sein du centre expérimental de l’INRA, soient visibles, perceptibles et animent la vie du village. Ainsi, cette grande façade transparente permet de rythmer, très simplement par son éclairage, le pansage[9] des animaux et leurs allées et venues. Les habitants et les riverains peuvent prendre conscience de ce qu’il se passe à l’intérieur du bâtiment.
Cette problématique revêt pour nous une certaine importance puisqu’on estime qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale, 50% de la population française était rurale et qu’actuellement il n’y a que 3% de la population exerçant le métier d’agriculteur. Pour autant, les campagnes françaises sont habitées et souvent par des populations dites « urbaines ». Celles-ci n’ont pas une pratique rurale, ce qui entraîne en partie une méconnaissance des activités agricoles. Par des dispositifs simples à mettre en œuvre, nous considérons qu’il est possible de ré-ancrer et de re-tisser des liens et une connaissance, non pas de l’ensemble des pratiques agricoles, mais au moins des rythmes, des activités et de la présence des agriculteurs.
4/ Centre équestre du Lac des Sapins, Cublize (69 – Rhône) / 2015
Le centre équestre de Cublize est un projet situé à l’entrée d’un site touristique, près du Lac des Sapins, dans le département du Rhône. Le maître d’ouvrage est le Syndicat mixte du Lac des Sapins. Le projet portait deux enjeux majeurs, d’une part une préoccupation forte liée à l’intégration paysagère et d’autre part des enjeux économiques.
Un volume unique pour accueillir une pluralité de fonctions : compacité, complexité, rationalité
Le maître d’ouvrage possédait déjà un plan masse et estimait, suivant l’avis de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage, que pour bien intégrer un tel programme il fallait le morceler et le découper afin de créer de petites entités. Nous lui avons dit qu’en morcelant ainsi les bâtiments, il en résulterait un ensemble de circulations agricoles piétinées et abimées. En hiver, il y a déjà un piétinement léger, mais sur le pourtour du bâtiment et dans les paddocks[10] cela allait constituer un ensemble pouvant dégrader le projet. Du foin et de la paille allaient traîner et les circulations d’animaux et de tracteurs allaient créer des ornières. Nous avons alors proposé de regrouper l’ensemble sous un seul et même toit en associant en sous-éléments de programme – la fumière, le manège, le stockage du fourrage et l’ensemble des box à chevaux de manière linéaire – en articulant l’ensemble des composants du projet à la fois à la pente et à l’échelle large du paysage. Nous nous sommes donc retrouvés, en additionnant l’ensemble des éléments du programme, sur un bâtiment de plus de 3000 mètres carrés, avec une grande inquiétude de la maîtrise d’ouvrage sur l’intégration et la façon dont allait être ressentie la présence de ce grand centre équestre. Ainsi comme pour le projet à Laqueuille, nous ne sommes pas venus créer une plateforme au milieu de laquelle on pose le bâtiment. Nous avons complexifié et intégré le projet dans la pente en ayant, d’une part, une façade plus basse et, d’autre part, le niveau des box à chevaux qui est situé 1,40 m au-dessus du manège. Ces deux éléments étant reliés par des rampes d’une inclinaison de 4% accessibles aux personnes à mobilité réduite et permettant d’obtenir un usage multiple à l’intérieur du bâtiment.
Un espace central partagé et multi-fonctionnel à l’articulation entre le manège et les annexes
L’espace principal est un cadre de travail commun entre l’humain et l’animal, l’homme et le cheval. Il est également en rapport direct avec la forêt en arrière plan. Nous n’avons pas de plan intermédiaire, avec les circulations agricoles en périphéries, on est donc en contact avec l’environnement proche. Cet espace de circulation a plusieurs usages. Il sert à la fois aux animaux pour l’approvisionnement de l’alimentation et l’évacuation des fumiers. Et lorsque les parents viennent, il possède un rôle de belvédère sur le manège. C’est un espace dédié aux animaux et au public qui profitent de la vue sur l’ensemble du bâtiment. Nous avons donc des circulations animales et un espace de convivialité qui donnent à voir le manège, avec des dispositifs très simples, en créant des effets de surplomb et de visibilité. De plus, le chemin agricole qui passe en-dessous est invisible grâce à de petits jeux de perspectives. Ils permettent de casser le plan et d’aller au-delà.
Inscrire le projet dans son territoire : un dispositif technique en bois local
Nous avons également souhaité mettre en place une sur-couverture en bois. Ainsi, nous avons un long mur en béton surmonté d’une charpente en bois local, du bac acier, du polycarbonate et une sur-couverture réalisée en ganivelle de châtaignier (bois local). Ce dispositif raconte une chose très simple : le bois est une matière vivante qui évolue et fluctue quand elle est laissée libre. Ainsi, tout le parti pris consiste à utiliser ce matériau de manière pratiquement industrielle. Les ganivelles ne sont ni plus ni moins que des pare-neiges ou des pare-dunes que l’on déploie très rapidement. Nous avons réalisé précisément le calepinage afin de les ajuster avec le bac acier et d’obtenir des mesures justes pour le charpentier. Nous avons également réalisé plusieurs essais à l’échelle 1/1 pour valider définitivement ce choix. Cependant, à la livraison des morceaux de bois avaient déjà fluctué, d’autres bougent encore au fil du temps mais nous ne trouvons pas cela gênant. Au fil du temps, une patine se forme sur le bois et une intégration du bâtiment se constitue à l’échelle du paysage. Ainsi le rôle des ganivelles en bois local est multi-fonctionnel, dans le sens où pour nous il a un enjeu d’inscription paysagère, plus que d’intégration. Les ganivelles servent aussi de lit de ventilation, c’est-à-dire que durant l’été un filet d’air se constitue au-dessus du bac acier permettant d’éviter la surchauffe à l’intérieur du bâtiment. Par ailleurs, il offre un atout acoustique puisque lors des pluies ou grêles elles ont tendance à casser les gouttes qui tombent, ce qui permet d’avoir moins de bruits inconfortables. C’est une manière de démultiplier les atouts et potentiels de ce type de dispositif.
Concernant les enjeux économiques, nous sommes ici à 200 euros du mètre carré, tout compris avec les aménagements. Il s’agit du fruit d’une lutte avec le maître d’ouvrage qui souhaitait, jusqu’au dossier de consultation des entreprises, construire en métal. Nous avons insisté pour proposer une variante en bois, moins onéreuse que la construction en métal. Il est important de préciser que l’édifice, bien que de grande dimension, n’a reçu aucune critique. Le maître d’ouvrage est très satisfait et estime que la position tenue est assez juste et périlleuse. Il nous fait à présent travailler de façon régulière, depuis la livraison du centre équestre il y a quatre ans. Ce projet nous montre qu’en allant au-delà du monde du maître d’ouvrage, en le provoquant dans ses retranchements, on parvient à mettre en place des constructions qui s’inscrivent et travaillent avec les ressources locales dans une autre dimension comme dans une autre économie.
5/ Grande Halle – Pôle régional de manifestations agricoles, Aumont-Aubrac (48 – Lozère) / 2010
Le pôle régional de manifestations agricoles, situé en limite du village d’Aumont-Aubrac en Lozère, est le deuxième concours que nous avons réalisé. La maîtrise d’ouvrage a été assurée par la Communauté de Communes de la Terre de Peyre, dans le nord-est du département de la Lozère. N’étant pas situé dans une région voisine, comme nous y sommes habituellement confrontés, la distance nous a encouragé à adopter une posture plus périlleuse et un parti pris plus fort. Nous avons donc proposé pour le programme un espace d’exposition pour des concours agricoles et manifestations pour les filières bovines, équines, ovines, caprines ou encore viticole, mais qui avait aussi vocation à être polyvalent.
Une grande halle agricole polyvalente en territoire rural
Nous avons souhaité construire un bâtiment qui soit à la fois un équipement public et un édifice agricole, une construction qui joue sur deux registres. Ainsi de l’extérieur, nous n’avons pas composé ou pensé un bâtiment qui se définisse d’emblée comme la stabulation d’un édifice agricole. Nous avons préféré jouer sur le respect d’une articulation avec les longues lignes tendues du paysage. En effet, nous nous situons ici à l’interface entre les paysages de la Margeride et les grands plateaux longilignes de l’Aubrac. Un second point important concerne le rapport entre l’équipement public en milieu rural et la construction rurale en elle-même. Par exemple, nous avons utilisé des piquets en bois pour borner les parkings. Un piquet c’est un euro, une borne c’est 200 ou 300 euros. Au-delà de cette action, nous créons des continuités entre tout l’ensemble du mobilier rural, par exemple les clôtures que l’on retrouve dans le paysage, et l’équipement qui est dédié à la présentation et la mise en valeur de l’agriculture locale. Le déploiement de dispositifs simples et sobres permet une articulation très pragmatique du paysage et ses constituantes.
Un parcours scénarisé
Il s’agit d’un lieu destiné à l’organisation de foires agricoles, et pour en avoir pratiqué un certain nombre dans notre enfance, ce qui se produit souvent dans ce type de projet c’est qu’on a l’espace d’accueil du public, le bâtiment, et derrière l’espace de présentation des animaux qui n’est pas ou peu vu. Nous avons souhaité considérer que cette arrivée des animaux était un temps de fête, un temps de préparation qui permet de montrer le rapport qu’il peut y avoir au cours de la descente des bétaillères entre l’éleveur et l’animal qu’il amène pour des concours ou des foires. Nous avons ainsi positionné cet espace de préparation au centre, il devient le cœur du projet. Le public arrive donc sur un espace de stationnement, que nous avons souhaité le plus perméable afin de permettre l’infiltration des eaux de pluie, il entre dans le bâtiment, puis accède à une passerelle en surplomb avant de descendre de la même manière par une passerelle ou des rampes accessibles aux personnes à mobilité réduite. Les animaux passent en-dessous et nous avons la possibilité de voir à la fois l’ensemble du temps de préparation et l’espace intérieur au sein duquel se situent les animaux déjà préparés et présentés.
Ancrage territorial : savoir-faire, localité, ressources et mise en œuvre
Sur ce projet, un ensemble de dispositifs techniques et une pensée structurelle ont permis la mise en œuvre du bois local. La grande halle de 2500 mètres carrés a des portées libres de 17 mètres. Il n’y a qu’une seule poutre en lamellé collé et l’ensemble des fermes sous-tendues sont construites en bois local provenant de l’Aubrac-Margeride et a été mis en œuvre à 500 mètres du chantier. C’est une pensée basée sur l’intégration.
Le charpentier local a eu l’appel d’offre. Il nous a expliqué que pour lui la Lozère c’est comme la Corse mais sans la mer. Cela signifie beaucoup de choses… Nous avons aussi travaillé avec un ingénieur suisse, qui nous a permis de mettre en place des fermes sous-tendues capables de supporter des poids de neige relativement conséquents avec du bois massif, ce qui a rendu possible une adaptation et un déploiement des savoir-faire locaux.
Une inscription affirmée dans le paysage et le territoire : recherche typologique
La façade principale regarde le village. Elle est très animée, relativement constituée et assez simple. Elle reprend un type d’ouverture et exprime une typologie que l’on retrouve dans les bâtiments actuels des plateaux de l’Aubrac, et notamment des étables avec des séquences de fenêtres allongées.
Nous effectuons ce rappel de motifs parce que le discours classique sur les édifices agricoles consiste à dire que ce sont des bâtiments standardisés qui sont un peu les mêmes partout, cependant ce n’est pas toujours vrai. Les bâtiments de l’Aubrac, les stabulations récentes comme les vieilles étables reprennent des motifs d’étables longilignes avec des ouvertures ponctuelles dessinant des lignes tendues dans le paysage.
Nous pourrions ajouter également que, comme pour le bâtiment d’élevage de Marcenat, il nous semble important de considérer les tentes de foires comme un équipement rural. Au début, le maître d’ouvrage nous parlait d’ériger un totem pour annoncer les foires par un signal lumineux. Nous avons refusé et considéré qu’il était possible de faire simplement confiance à la façade, avec un effet d’intériorité. Lorsqu’il se déroule un évènement, on le devine à l’aide de cette façade située au sortir du village. Il s’agit d’une présence rurale d’animation qui est assez étrange. Elle pose question quelque part et d’elle-même dit, sans sur-ajouter de la signalétique ou autres messages et annonces, qu’il se passe quelque chose à l’intérieur du bâtiment.
Des dispositifs techniques « low-tech » au coeur d’une recherche de sobriété énergétique et de durabilité
La façade arrière possède également plusieurs rôles. La trame du bardage reprend des motifs que nous trouvons dans les stabulations contemporaines, c’est-à-dire un espacement d’un centimètre entre les planches. En été, lorsque le bois se rétracte légèrement, les espacements augmentent à deux centimètres et ainsi la capacité de ventilation naturelle augmente également. Ces retraits et gonflements sont normaux et logiques, ils participent à un dispositif intégré dans des dynamiques agricoles et nous permettent d’assurer une polyvalence de l’équipement. En effet, lorsqu’une manifestation agricole est organisée le week-end par exemple, le bâtiment ventile tout seul de manière naturelle toute la semaine et il est possible d’accueillir d’autres manifestations le week-end suivant. Nous avons livré le bâtiment en 2011 et il n’y a jamais eu de manifestants mécontents, pour un salon ou des concerts, dû à la présence ou prégnance de l’odeur des animaux. Il s’agit donc d’un dispositif très simple et efficace qui permet pour ce bâtiment de ne pas utiliser d’énergie, il se ventile de lui-même, possède sa propre vie et est en mesure d’intégrer différentes fonctions dans des temporalités variées.
Nous développons aussi les problématiques liées aux temporalités de vie du bâtiment. Comme sur d’autres projets, la question du vieillissement du bardage bois, avec la mise en place d’un dispositif particulier, tient compte des risques de gonflements et de retraits, des problèmes de gel et de dégel liés notamment à l’altitude et des risques de cassures des descentes d’eaux pluviales. Nous avons ainsi mis en place des systèmes de descentes d’eaux pluviales ouvertes, en forme de U et avec un léger biais, empêchant tout retour de goutte d’eau possible. L’eau tombe et lorsqu’elle gèle il se produit un phénomène de dilatation, mais celui-ci n’entraîne pas de fissures ou de brisures des zingueries mises en œuvre. De plus, trois ans après, nous avons également une patine uniforme qui se constitue sur le bardage alors qu’il n’y a pas de débord de toiture. Et pour finir, le bardage, mis en œuvre sur la grande surface, est brut de sciage. Après différents essais et prises de conseils auprès du charpentier, nous en avons déduit, il me semble, la solution la plus adaptée. Nous n’avons pas cassé les veines et les lignes du bois ce qui permet à l’eau de s’écouler beaucoup plus naturellement et de façon homogène sur les planches de bardage.
6/ Travail sur l’exploitation agricole, Vernand (42 – Loire)
Le travail que nous menons sur l’exploitation agricole nous permet d’expliciter le rapport à l’animal. Dans les projets qui ont été présentés, l’enjeu se situait essentiellement dans une amélioration des programmes auxquels nous sommes confrontés. Lorsque nous arrivons sur un projet, les programmes sont définis et nous devons y apporter une réponse. Nous essayons le plus possible de faire en sorte que le bien-être animal soit pris en compte et respecté et que les conditions de vie et de travail soient confortables. Nous tentons de conduire un travail d’accompagnement mutuel qu’on trouve ensuite en corollaire dans un certain nombre d’études que nous sommes en train de mener. Ce dont il faut prendre conscience, c’est que les évolutions agricoles actuelles sont principalement basées sur l’accroissement perpétuel des surfaces des exploitations.
Des évolutions agricoles à questionner
Je suis architecte Conseil de l’État dans la Nièvre. Dans ce département, il n’est pas rare qu’un exploitant agricole soit amené à gérer 200 à 300 hectares, ce qui est considérable. Dans la Loire, il s’agit encore d’une centaine d’hectares ou plus, ce qui est quand même beaucoup. L’enjeu, que nous essayons de porter, est qu’il résulte de cet accroissement des surfaces une attention moindre accordée à l’espace et au potentiel des espaces dont on dispose.
Au cours d’une étude que nous avons menée, un agriculteur a dit, à juste titre, que les agriculteurs ne sont plus des guideurs ou des éleveurs, mais des chauffeurs de tracteurs. Ils passent leur temps à aller de parcelles en parcelles, à être le plus rationnel et le plus rapide possible. De plus, lors de la fauche des foins par exemple, un tour est fait mais une bonne partie du fourrage situé trop près des haies est laissé puisqu’il y a un risque d’abîmer le matériel. Il y a donc un enjeu aujourd’hui, comme sur le bâtiment de l’INRA, de consommation d’espace bâti, de manutention et de gestion des engins dans l’espace agricole.
La polyculture
Il y a également des notions d’économie et d’attention à porter sur les surfaces agricoles dont on dispose. Tout le travail que nous essayons de construire et de mener sur la ferme que nous possédons, au départ avec nos parents, procède de cette volonté. Il s’agit d’une surface de production céréalière, d’élevage allaitant et de viande bovine et ovine dans une ferme en polyculture. Nous avions deux grandes parcelles et avons souhaité mettre en place des lanières fines permettant d’articuler un espace planté de prairies temporaires et de production plutôt fourragère, avec un espace de céréaliculture. Nous ne voulions pas d’une gestion forcée par de grandes haies longilignes qui risquaient de casser le parcellaire. Nous avons gardé cet espace ouvert mais avec une maîtrise de l’érosion par des principes simples de plantations, des strates herbacées intermédiaires qui viennent bloquer les sols et l’écoulement des eaux ainsi que le risque de dévalement des terres. De plus, ces longues bandes fines nous permettent d’inclure des évolutions dans le rythme du paysage. En effet, lorsque les céréales poussent entre les prairies et les parties dédiées au fourrage, nous mettons en évidence les distinctions entre les éléments végétaux. De même, nous manifestons le développement du potentiel d’ajustement de ces parcelles en les travaillant en longueur et en luttant de cette manière contre l’érosion des sols.
Le pâturage de sous-bois
Nous sommes également intervenus sur un sous-bois dans la continuité de certaines prairies temporaires menées en pâturage. Quand nous étions enfants tous ces sous-bois étaient embroussaillés et non utilisés par nos parents. Nous avons alors souhaité optimiser cet espace et réfléchir à un usage agricole possible en valorisant aussi les arbres présents.Ainsi nous avons reconstitué un élagage fin, débroussaillé quand nous le pouvions, là où les animaux ne mangeaient pas et ne pâturaient pas, afin d’utiliser ce couvert boisé comme un refuge potentiel, un nouveau gîte possible et un espace d’accueil ombragé pour les animaux. Le plus souvent et jusqu’aux canicules récentes, nous retrouvons dans les parcelles et dans un certain nombre de sites, un environnement difficile pour les animaux car ils ne comptent pas d’espaces boisés ou ombragés. Ce travail de lisière permet d’optimiser des surfaces agricoles qui n’étaient pas ou plus utilisées.
Pratiques agricoles et préservation de la biodiversité
Une des problématiques que l’on retrouve également est le lien entre présence animale et biodiversité. Elle est principalement liée au bétail, bovin notamment, qui vient déstructurer et abîmer les bords des cours d’eaux. Nous avons donc mené sur l’ensemble de l’exploitation un travail de réflexion sur les systèmes d’abreuvement, en condamnant les mares et en les transformant en zones humides au sein desquelles une nouvelle biodiversité peut se développer, et où les animaux, notamment les bovins, n’ont pas accès. En parallèle, nous avons récupéré deux IPN dans une grange, où nous avions démoli un plancher, pour en faire un système d’abreuvement peu courant. Il permet de manière simple de concentrer les points d’abreuvements, évitant ainsi qu’ils abîment et piétinent l’ensemble des pièces d’eau.
Les parcelles de reconquête
Les parcelles de reconquête sont des fonds de pâtures humides qui ont tendance à s’embroussailler de manière importante. Cela nous a conduit à mettre en place un système agricole différent en ayant recours notamment à un autre type de troupeau. Les vaches Highland sont en effet plus adaptées au milieu humide que les vaches Limousines. De plus, pour que la pâture se fasse de manière beaucoup plus intensive et rythmée, nous avons redessiné le parcellaire pour obtenir des parcelles plus petites et contraintes. Ainsi, nous avons fractionné les lots afin d’avoir une meilleure gestion de l’espace et une optimisation agricole, mais également une réouverture des paysages. Grâce à la mise en place de dispositifs très simples et de modes de conduite de troupeaux différents, nous cherchons à mettre en place un travail conjoint avec l’animal. Il est important pour nous, dans notre travail, de ne pas laisser les troupeaux seuls mais plutôt d’établir une relation commune en vue de gérer ensemble le paysage. Nous décidons, en fonction des troupeaux, des constructions et des articulations du paysage que nous pouvons obtenir.
Un festival d’art contemporain
L’espace de la ferme est pour nous un laboratoire d’expérimentation. Et dans ce cadre, afin également de ne pas être confrontés seuls à la ferme qui est un lieu familial assez chargé, nous avons mis en place un festival d’art contemporain, qui se tient en biennale. Il permet de projeter sur la ferme un ensemble d’interventions, de regards extérieurs, portant sur des thématiques très simples mais qui posent une question de manière large : quel est le rapport entretenu entre culture et urbanité et quels en sont les détournements possibles ? Pour illustrer cela, je vous donne deux exemples. Nous nous sommes inspirés d’un système suisse, le loto-bouse. Il consiste à parier sur la case sur laquelle la bouse d’une vache va atterrir. Et nous avons détourné des pierres à sel en leur donnant l’apparence de bonbons, de pastilles Vichy. C’est ce style de détournement qui pour nous permet de surmonter la césure qu’il pouvait y avoir entre population et activité, pratique urbaine et pratique agricole, en créant des temps d’échanges et de liens qui permettent d’appréhender de manière ludique et détournée les interrelations et la saisie des pratiques agricoles. Pendant ces temporalités, il est essentiel de mettre en place des passages pour ne pas abîmer les fonds humides ou pour éviter de générer des piétinements par les allers et venues des humains. Nous avons donc créé des passerelles temporaires qui sont simplement des palettes posées le temps d’un week-end et qui peuvent ensuite être retirées à la fin du festival.
Ce festival, que nous menons depuis 10 ans le temps d’un week-end, avec une association de 60 adhérents, fait venir plus de 2000 personnes. Il est important pour nous en milieu rural de tenter de faire saisir les pratiques agricoles. De plus, dans un temps donné, cet espace peut aussi devenir un espace public. Ce qui nous semble important c’est ce mélange possible de pratiques et connaissances mutuelles entre la population urbaine qui habite l’espace rural et les pratiques rurales et agricoles.
7/ Etude de revitalisation de centre-bourg en moyenne montagne
Nous sommes en train de conduire une étude sur la revitalisation d’un centre-bourg. C’est un village de moyenne montagne, qui oscille entre 800 et 1300 mètres d’altitude, bordé par des prairies d’estives. Nous avons remporté cet appel d’offre pour la revitalisation du village avec plusieurs bureaux d’études, et nous souhaitions d’emblée poser la problématique du développement et de la compréhension du rapport territorial que le centre-bourg entretient avec l’ensemble de son site et du territoire communal.
Identification des caractéristiques territoriales et paysagères
Nous avons ainsi identifié et mis en avant deux éléments. Le premier montre que la commune s’articule le long d’un bassin et d’une rivière emblématique à l’échelle du département. Les élus n’en avaient pas conscience, et il nous a donc semblé important de permettre la lecture, à la population et aux élus, de l’échelle de leur commune. Le second met en exergue le fait qu’il s’agit d’un territoire à étages. Les centre-bourgs s’installent en effet dans les fonds de vallons. Ce sont des espaces qui tendent progressivement à s’enfricher de manière prégnante et forte, et où de nombreuses plantations forestières de douglas ont été faites à partir des années 1970, occasionnant une réelle fermeture des paysages. Un autre étage est constitué de plateaux agricoles en polycultures relativement bien constitués et entretenus. Puis, l’étage des forêts correspondant à un milieu déjà caractérisé de façon un peu plus « naturelle ». Et enfin, les espaces d’estives, appelés les Hautes Chaumes, qui sont de grands plateaux herbacés assez beaux, caractéristiques des milieux de moyenne montagne, et entretenus par le biais d’une estive communale. Sur ces espaces, on trouve des fermes avec pour chacune, sur le pourtour ou plus éloignées, des parcelles qui sont gérées par des agriculteurs. L’espace de sommet est un espace commun.
Une rupture de liens entre l’habiter urbain et les pratiques agricoles
Nous avons mené un travail de concertation pendant lequel nous avons entendu de la part de tous les habitants des hameaux qu’ils ne voudraient jamais habiter là parce qu’ils considèrent que c’est la ville.
En effet, l’ensemble des espaces de fonds de vallée et de coteaux ont tendance à s’enfricher. Ils tendent ainsi à produire une dissociation entre les perspectives, la manière d’habiter le centre-bourg, l’espace agricole proche et le paysage. Cet espace intermédiaire de liens et de connections avec le paysage rural crée une épaisseur qui aujourd’hui n’est plus ou n’est pas réellement franchissable. Dès les premières pré-esquisses, nous avons considéré que l’un des enjeux était de faire reconnaitre que, sur les cartes et les photos des années 1950, tout cet ensemble était un espace vivrier constitué de potagers, de vergers et de cultures maraîchères. Bien qu’il s’agisse de parcelles en coteaux, c’était un espace vivant et nourricier en interconnexion pleine et entière avec le centre-bourg. De même, les flans de vallons étaient eux aussi gérés par des pâturages. Il y avait un cadre naturel de fond de vallon assez fort et présent.
Re-tisser des liens entre le centre-bourg et son territoire : la reconquête des coteaux et fonds de vallon
Aujourd’hui, ce sont des espaces qui s’enfrichent. Donc pour reconquérir ces coteaux, nous avons tenté de mettre en place un ensemble de dispositifs permettant aux agriculteurs présents de gérer ces parcelles en agrandissant leurs exploitations. Nous avons également tenté de reconstituer, de reconfigurer, un ensemble de jardins potagers en pourtour de village. Ces parcelles potagères ont été notamment proposées à un certain nombre de personnes âgées qui possédaient une résidence secondaire et qui habitent à présent de façon plus pérenne dans le village.
Les espaces à flanc de vallon, regroupant des zones pavillonnaires et des parcelles relativement étroites et enfrichées, pourraient bénéficier d’une recomposition en estive communale. Celle-ci serait gérée de manière collective peut-être par des agriculteurs retraités souhaitant quitter leurs hameaux et leurs exploitations pour habiter en centre-bourg tout en maintenant un usage et une pratique agricole. En effet, nous sentons souvent dans tous ces villages que le point critique pour les agriculteurs est le moment où ils doivent quitter leur ferme. Avoir une ferme est plaisant, même si c’est quelque chose de lourd et prenant, et la quitter est une étape assez dure, le rythme agricole est perdu et peut poser problème pour certains. L’enjeu de la revitalisation du centre-bourg peut également passer par l’arrivée d’habitants qui ont encore envie d’habiter dans la commune, mais pas forcément dans le village, qu’ils considèrent comme la ville. Ils pourraient justement y trouver une occupation ou une activité agricole dans une gestion commune et collective des espaces interstitiels de bords de bourg.
Nous avons proposé ces idées à la commune qui commence à s’en emparer et à y réfléchir aujourd’hui. Nous sommes aussi accompagnés dans ce projet par le Parc Naturel Régional du Livradois-Forez qui intervient en tant qu’assistant à la maîtrise d’ouvrage. Celui-ci a annoncé à la commune qu’ils venaient d’aller voir un village dans le Jura qui était en train de lancer le même type de gestion. Cela leur a permis de se dire que, finalement, ils ne seraient pas les seuls hurluberlus à mettre en place ce type de système.
Dans le cas présent, pour nous qui menons aussi des études en milieu urbain dans d’autres villes, l’enjeu est de faire prendre conscience qu’en milieu rural il y a des liens à tisser entre pratiques urbaines et pratiques agricoles. La redéfinition des espaces, leur qualification, et l’interrogation des différentes gestions possibles de ceux-ci, peuvent être un levier et supports de nouveaux projets.
Échanges avec le public
1/ J’avais une question par rapport à l’usage du bois local que vous avez mis en place dans beaucoup de projets. L’accès à cette ressource est-il plutôt facile ou plutôt compliqué ?
Ce n’est pas forcément simple, surtout dans le cas d’appels d’offres publics. En maîtrise d’œuvre privée on peut mieux maîtriser cet aspect, et encore… Mais pour nous, sur la question de l’approvisionnement, les leviers sont simples. L’un d’eux porte sur les appels d’offres des entreprises. On peut engager des négociations, entre le maître d’ouvrage et les trois premières entreprises par exemple, qui ne portent pas uniquement sur le prix mais aussi sur les méthodologies. Il est possible de demander à ce que la méthodologie soit bien décrite et la question de l’approvisionnement bien posée, dans la définition des appels d’offres. La question de la méthodologie de seconde transformation est aussi importante. Par exemple, pour le lamellé-collé, il s’agit de savoir où il est fait, parce que souvent on a du bois local qui est collé à 400 kilomètres et qui revient.
Ensuite, il y a des dispositifs qui commencent à se mettre en place avec des labels : « bois des Alpes » ou « bois BTMC » (bois des Territoires du Massif Central) par exemple. Ce ne sont pas des marques donc ils peuvent être intégrés dans un appel d’offre. Ainsi, les entreprises peuvent se faire labelliser. Et si elles n’ont pas le label en début de projet, elles peuvent dire qu’elles sont en train d’initier la démarche pour se faire labelliser. Cela pose nécessairement un certain nombre de contraintes car toutes les entreprises ne sont pas volontaires pour le faire, et il y a des démarches administratives qui ne sont pas forcément évidentes à mener.
Selon moi, la possibilité d’utiliser les ressources locales est souvent liée à des questions d’opportunités, de sensibilité des entreprises et des appels d’offres. Par exemple, nous avons construit un projet en bois massif, exclusivement en bois communal. Nous disposions déjà des bois, et l’entreprise devait les scier. Nous étions l’été de la canicule, et c’était la seule scierie en France fabricant des piques à brochettes en hêtre pour les barbecues, en bois alimentaire. Du coup ils n’ont pas eu le temps de s’occuper de notre bois… ça a été une histoire à dormir debout. Il faut bien concevoir qu’il y a ces problématiques dans la gestion de l’ensemble de la filière. Finalement, on a eu de la chance de tomber sur un charpentier scieur qui avait une scierie intégrée. Cela a également été le cas par exemple à Marcenat où nous avons eu recours à un charpentier scieur du Cantal qui s’approvisionne en Corrèze.
Pour les projets que nous avons pu mener plus vers chez nous, comme pour le centre équestre par exemple, nous avons utilisé les bois du Haut Beaujolais en douglas avec des scieurs et des charpentiers locaux, que l’on connait très bien. Les ganivelles en châtaignier venaient de la Drôme, donc à 150 km. Et enfin, pour le Haut Forez, c’est une entreprise super bien, que personne ne connait, qui fait du bois lamellé-collé avec un approvisionnement local à 30 ou 40 km. Ce qui nous intéresse dans le projet que nous avons pu mener avec eux c’est qu’aujourd’hui, sur d’autres projets, ils peuvent intervenir à la fois comme charpentiers mais aussi uniquement comme scieurs. Et donc nous le mettons en lien avec des entreprises avec lesquelles nous travaillons. C’est un peu du « bricolage » mais cela nous garantit un approvisionnement local.
2/ Les projets que vous avez montrés sont très liés à la pédagogie que vous mettez en place avec la maîtrise d’ouvrage pour faire évoluer le programme vers les valeurs que vous portez. Quels sont, d’après vos expériences de projets dans ces thématiques, les leviers qui font parler les agriculteurs qui a priori ne s’entendaient pas au début du projet ? Qu’est-ce qui fait évoluer les maîtrises d’ouvrages, est-ce que ce sont des questions pragmatiques de coût, par exemple, ou est-ce que sur des questions plus sensibles d’usage vous arrivez à les faire évoluer ?
Finalement, nous ne travaillons pas énormément avec des agriculteurs privés. Le cadre de ces projets reste très particulier. Nous commençons le projet et ensuite les agriculteurs qui viennent vers nous sont la plupart du temps déjà sensibilisés à ces questions. Ils ont envie de construire en bois avec le charpentier du coin et de s’approvisionner le plus possible en bois local, c’est souvent parce qu’ils sont déjà dans des démarches de ventes directes ou autres.
Mais par contre j’ai plutôt envie de vous parler des maîtres d’ouvrages disons plus « classiques », parce que nous faisons pas mal d’équipements courants comme des écoles ou autres en milieu rural. Et là, nous nous trouvons souvent confrontés à des questions un peu plus difficiles.
Récemment, nous avons perdu un concours parce que nous avions trop de bois en façade, par exemple. En réalité, le concours a été arrêté parce qu’il y avait un désaccord, entre le Conseil et la maire, sur l’utilisation du bois en façade. Tout le village se battait par articles interposés sur, finalement, des questions d’architecture. C’était vraiment très intéressant. Mais comme ils ne s’entendaient pas, ils ont fini par arrêter le projet.
En effet, certains maîtres d’ouvrages ne souhaitent pas de bois en façade même si nous le justifions correctement et montrons qu’il est possible de le valoriser et de le mettre en œuvre de façon maîtrisée d’un point de vue du vieillissement des façades.
Nous avons également failli perdre un autre concours pour les mêmes raisons mais nous l’avons finalement gagné. En effet, d’emblée la maîtrise d’ouvrage nous a dit qu’elle ne voulait pas de bois sur ce projet. Nous avons donc pris l’initiative d’organiser une sélection de projets régionaux, où nous trouvions qu’il y avait une mise en œuvre intéressante et différente du bardage et nous sommes allés les visiter avec eux sur une journée. C’est une démarche qui prend un peu de temps, mais cela permet de faire passer le message que l’on souhaite et de créer un moment de convivialité. C’est un moment de perception commune sur ce qui nous semble intéressant mais également sur les remarques et appréhensions sur le bois, son vieillissement et ses mises en œuvre en façades. C’est un travail de longue haleine et un grand travail de sensibilisation, mais nous sommes arrivés à mettre en œuvre le bardage sur ce projet.
Je me rends compte néanmoins qu’il est beaucoup plus difficile de « vendre un bardage bois » aujourd’hui qu’en 2007, lorsque nous avons fondé l’agence. Mais cela va même au-delà de notre propre travail et de nos projets. En effet, nous adhérons à l’inter-profession bois de notre département, qui est assez active et intéressante. Elle organise des revues de projets entre charpentiers, scieurs, architectes, maîtres d’ouvrages. Lors de ces présentations, même les personnes et les inter-professions, qui sont censées sensibiliser sur la question du bois, estiment qu’il n’est pas décisif d’avoir du bardage bois. Ils considèrent parfois que l’important c’est le volume de bois consommé, c’est-à-dire pour la structure, et que le bardage bois représentant un plus faible volume, il est possible de faire autre chose en façade.
Bien entendu, chaque architecte a sa position concernant le bardage bois. Pour nous ce n’est pas une doctrine, mais nous trouvons qu’en terme de langage architectural c’est un dispositif intéressant pour raconter l’ensemble de la structure. Nous le mettons donc en œuvre pour la structure et le revêtement composant ainsi un tout indissociable. En conséquence, il est nécessaire de porter une exigence forte sur l’ensemble des détails. Par exemple, sur l’un de nos projets, nous avons eu une coulure noire sur le bardage car l’électricien a utilisé une vis en acier au lieu d’une vis en inox pour fixer son projecteur. Celle-ci nuit un peu à la qualité de la façade, et illustre l’attention permanente que nous devons maintenir sur l’ensemble des détails tout au long du chantier.
Par ailleurs, nous cherchons à avoir sur nos projets le moins de débords de toiture et d’aspérités de façade possibles, et lorsqu’il y a un renfoncement nous essayons de marier le bardage bois avec d’autres matériaux, comme le zinc, afin de circonstancier l’emploi du bois en fonction des desseins architecturaux.
[1] Un merlon est un terme appartenant à l’architecture militaire et de fortification. C’est « une levée de terre destinée à servir de protection », ici contre les avalanches. https://www.cnrtl.fr/definition/merlon
[2] Une fumière est un « emplacement où l’on dépose le fumier en tas pour qu’il poursuive sa fermentation ». https://www.cnrtl.fr/definition/fumière
[3] Un amendement, en agriculture, correspond à « toute opération qui améliore le sol » et une « substance (engrais, etc.) incorporée au sol pour en améliorer les propriétés physiques et chimiques ». https://www.cnrtl.fr/definition/amendement
[4] L’hivernage correspond à « l’action de passer l’hiver à l’abri, au repos » et au « séjour des bestiaux à l’étable, dans la bergerie ». https://www.cnrtl.fr/definition/hivernage et https://www.cnrtl.fr/definition/hiverner
[5] Les caillebotis sont des « treillis ou assemblage de rondins servant de plancher, en particulier dans les lieux humides ». https://www.cnrtl.fr/definition/caillebotis
[6] Les espaces d’estives sont des « pâturages de haute montagne ». https://www.cnrtl.fr/definition/estive
[7] Institut National de la Recherche Agronomique
[8] Le buron est « une petite construction montagnarde où les bergers d’Auvergne s’abritent et font leurs fromages en été ». https://www.cnrtl.fr/definition/buron
[9] Le pansage correspond à « l’ensemble des soins donnés à certains animaux ». https://www.cnrtl.fr/definition/pansage
[10] Le paddock est « une enceinte réservée où les chevaux sont promenés à la main ». https://www.cnrtl.fr/definition/paddock