Compte-rendu de conférence
« Pourquoi trouvons-nous ces bâtiments anciens beaux ? » C’est par cette question, accompagnée d’une photographie de chalets suisses datant des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, que Ivano Iseppi et Stefan Kurath débutent leur conférence. Cette interrogation, qui pourrait sembler naïve au premier abord, est en fait polémique. En effet, si l’on en croit l’enseignement majoritairement dispensé en atelier de projet dans les écoles d’architecture, cette beauté est liée aux proportions, à la tectonique, aux images que ces constructions évoquent. S’ils ne rejettent pas en bloc ces propositions, les deux architectes leur préfèrent l’hypothèse suivante : ces édifices sont beaux parce qu’ils résultent d’un ensemble complexe de relations avec leur environnement, c’est-à-dire non seulement avec une situation géographique spécifique, mais aussi avec des matériaux disponibles localement, des métiers aux savoir-faire particuliers, et une capacité à mobiliser des forces humaines en vue de répondre à des besoins élémentaires. Pour le dire autrement, Ivano Iseppi et Stefan Kurath préfèrent soutenir une approche culturelle du paysage construit, plutôt qu’une attitude qu’ils qualifient « d’intellectualisée », focalisée sur des édifices autonomes isolés de leur contexte. Dans une situation contemporaine complexe et contradictoire, ils s’appuient sur les réflexions du sociologue Bruno Latour pour comprendre les dynamiques de négociations sociales qui, aujourd’hui, façonnent notre environnement, ainsi que pour repenser le rôle des architectes au sein de la société.
Pour Ivano Iseppi et Stefan Kurath, les architectes doivent d’abord coordonner et traduire les intérêts – potentiellement antinomiques – de chacun des acteurs concernés par le projet : maîtres d’ouvrage, destinataires, mais aussi voisins, politiques, constructeurs, fournisseurs… Cela suppose, entre autres méthodes, la mise en place de processus participatifs, tels ceux que les deux architectes ont expérimentés lors de la conception d’une cour de récréation à Thusis. Grâce à un travail en maquettes, enseignants, parents et enfants ont pu s’impliquer dans la réflexion projectuelle.
Prendre en compte les acteurs du projet, c’est chercher à comprendre leurs besoins, mais c’est aussi ne pas hésiter à reformuler la commande en fonction de ceux-ci. Pour l’atelier de charpente Mani à Pignia, le maître d’ouvrage souhaitait simplement l’obtention rapide d’un permis de construire, et il voulait pouvoir réaliser lui-même le bâtiment à moindre coût. Ivano Iseppi et Stefan Kurath ont cherché une solution pour assumer leur rôle de garants du paysage culturel commun, tout en respectant les contraintes économiques, et en acceptant de ne pas être présents jusqu’à la phase du chantier. Ils n’ont finalement pas dessiné le bâtiment dans son entièreté, mais ils en ont établi les règles : l’édifice est fabriqué par la répétition d’un module simple à fabriquer pour l’artisan. Ce volume, surmonté d’une toiture à un pan, est répété en alternant le sens de la pente. Par ailleurs, l’emplacement et le rythme des ouvertures sont définis, mais pas leurs dimensions, permettant au client d’utiliser les fenêtres les plus économiques disponibles au moment de la construction.
Il s’agit également pour les deux architectes de prendre en considération les besoins et les désirs des acteurs actuels du projet, mais aussi de préserver les intérêts de ceux qui leur succéderont. Pour ce faire, Ivano Iseppi et Stefan Kurath préfèrent projeter des structures résilientes, capables de rendre possible des appropriations multiples pour les siècles à venir. Pour le concours pour la maison paroissiale d’Uttwil, ils projettent un hall de 40 mètres de profondeur, qui joue bien évidemment son rôle d’espace de distribution des différentes composantes du programme, mais qui permet également d’accueillir une table en longueur, le tout sans s’opposer à diverses autres appropriations dans le futur. Pour Ivano Iseppi et Stefan Kurath finalement, l’architecture d’un édifice ne doit pas seulement être belle. Assemblage de matériaux, d’intérêts, de technologies… mis en forme par les architectes, elle se doit d’être « relationnelle », et d’offrir des espaces capables d’accueillir les événements qu’il est impossible de prévoir.