Compte-rendu de conférence, mardi 11 mai 2021, ENSArchitecture Nancy.
Geoffrey Clamour, architecte-urbaniste, est co-fondateur de l’agence les Marneurs (Paris-Bruxelles) et enseigne à l’ENSA Nancy.
L’agence d’architecture les Marneurs, fondée par trois amis devenus associés (deux architectes et un paysagiste), souhaite « faire différemment » des architectes du XXe siècle, et ce en intégrant les spécificités morphologiques des sites dans des projets à différentes échelles : grands territoires, cités, espaces publics, architectures… Leurs interventions sont souvent situées sur le littoral français, un territoire qui s’est considérablement artificialisé durant la période moderne et avec l’industrialisation de l’acte de bâtir, et ce, souvent en l’absence de toute considération écologique, éco-systémique ou patrimoniale. Le changement climatique et ses conséquences (tempêtes, submersions, montée du niveau des eaux des océans…) rappellent aujourd’hui que l’être humain ne peut pas nécessairement s’installer partout. Accélérées par ces transformations, les dynamiques naturelles reprennent parfois leur droit sur le territoire, au prix d’un lourd bilan économique, matériel et humain important. Faut-il alors quitter les littoraux ? Comment les fabriquer différemment, en s’émancipant des manières de faire héritées des Trente Glorieuses ? Devons-nous les habiter autrement ? À travers chaque projet qu’il présente, celui à La Rochelle, celui à Cherbourg et celui à Toulouse, Geoffroy Clamour propose trois étapes pour se réapproprier les territoires littoraux : vivre avec le risque plutôt que chercher à le combattre, prendre la mesure des ressources disponibles sur le site et, enfin, mettre en récit le territoire.
Au travers de l’exemple de la Rochelle, il montre que pour retrouver des paysages extensifs plutôt qu’artificiels, il faut redéfinir les limites des littoraux et des villes en réaménageant la dune et en la redonnant au littoral. Il propose de questionner les enrochements posés à La Rochelle suite à la tempête Xynthia : ceux-ci créent une barrière physique et psychologique avec la mer et les marais. Ainsi, le changement climatique a modifié notre relation au trait de côte : celui-ci s’est artificialisé et nous avons pris nos distances avec lui. Or, le système des marées définit une géographie très fine et des paysages singuliers, alors qu’au contraire, l’artificialisation de la côte détruit et fragilise ce système naturel : la transformation des marais salants en marais ostréicoles, l’assèchement progressif des marais doux, la tempête Xynthia, les inondations et l’érosion redéfinissent le paysage littoral. Au travers de l’exemple de l’agriparc de Cherbourg, Geoffroy Clamour choisit de ne pas partir de la situation existante (désindustrialisation du port) comme point de départ de sa réflexion urbaine et architecturale ; il cherche plutôt à comprendre la ville de Cherbourg avant sa poldérisation et à comprendre le fonctionnement du territoire avant l’artificialisation de terres sur la mer avec, pour objectif, le façonnage d’un aménagement du quai Lawton-Collins. Une autre question sous-jacente émerge alors ; que faire d’un espace poldérisé (gagné sur la mer) pour intensifier l’urbanisme sur ces espaces et penser la ville de demain ?
A La Rochelle comme à Cherbourg, Geoffroy Clamour se questionne constamment, comment mettre en récit un projet d’aménagement en lien avec la géographie perdue ? Comment rechercher, par une analyse objective, une identité pour ce littoral ? L’impact fort sur la valorisation du paysage qu’ont les aménagements des littoraux reposent des questions sur leur éventuelle modularité ou démontabilité : comment construire avec les risques ? Comment redonner leur valeur à ces lieux parfois devenus friches dans un territoire « à risque » ? Pour répondre à toutes ces problématiques, Geoffroy Clamour propose de reprendre la logique géomorphologique du site pour dessiner des espaces publics qui ne se soumettent pas ni ne dominent la montée des eaux, mais qui suivent son mouvement. Cette approche du risque et de l’eau fait ainsi naître, dans les projets de l’agence, une architecture amphibienne qui accepte d’être innondée et qui peut proposer un « spectacle de la submersion ». L’architecture qu’ils dessinent joue avec le temps, dans sa dimension tant météorologique que temporelle : certains usages par exemple suivent le mouvement des marées.
A Toulouse, afin de créer des espaces publics pertinents et de construire des logements maraîchers qualitatifs, les Marneurs cherchent à retrouver le tracé parcellaire préexistant pour réinstaller un espace agricole polyculturel. Pour eux, s’appuyer sur la trame maraîchère et l’histoire locale permet de retrouver les cheminements perdus qui connectaient autrefois la ville et son environnement proche. Par la création d’un parc agricole, d’un parc public et d’un habitat social en lien avec une culture maraîchère, les Marneurs réussissent à allier espaces paysagers qualitatifs et contemplatifs, espaces nourriciers et espaces producteurs de ressources biodiversitaires.
Dans l’ensemble de ces projets, il apparaît manifestement que les Marneurs proposent de réactualiser les paysages, en proposant une philosophie d’aménagements qui prend en considération les milieux et les écosystèmes existants et les enrichit, ainsi que les dynamiques morphologiques et naturelles qui leur sont liées. En retrouvant des lieux pouvant jouer le rôle de tampons en cas de submersion, en re-créeant des marais, en fabriquant un skateparc avec des sols perméables ou des sentiers mobiles avec pontons démontables…, les Marneurs réussissent à mettre en récit le territoire en s’appuyant sur une approche historique et patrimoniale locales. Pour Geoffroy Clamour, décoloniser la figure de l’architecte planificateur, c’est ainsi utiliser le récit comme outil de conception, voire en tant que projet lui-même, mais aussi changer nos imaginaires avant même de réaliser ces projets. Reconnaître et relever les complexités qui régissent le temps, les acteurs privés et institutionnels, ainsi que les moyens mis en œuvre dans un projet font partie du rôle de l’architecte, il n’y a plus qu’à s’en saisir pour concevoir différemment.