Compte-rendu de conférence, mardi 18 mai 2021, ENSArchitecture Nancy.
Maëlle Giard est doctorante en géographie, aménagement et urbanisme à l’Université Lumière-Lyon 2.
Dans le cadre de sa thèse en géographie qui porte sur les projets biorégionalistes et sur l’éco-féminisme, Maëlle Giard entreprend une démarche non-essentialiste – c’est-à-dire une démarche qui ne croit pas en « l’essence » d’une chose, et qui rejette le fait qu’une entité ait des traits spécifiques prédéterminés. L’essentialisme de genre par exemple, une question au cœur de son intervention, désigne les natures masculines et féminines comme différentes par essence. Maëlle Giard semble au contraire rejoindre le constructivisme social, qui envisage la réalité sociale, telle que la différence homme/femme comme une construction culturelle. Dès le début de son intervention, elle pose des questions éthiques et méthodologiques sur la place de la femme dans la métropolisation. En effet, l’espace public occidental est fortement masculin. Cette expression du patriarcat au sein de l’urbain prend différentes formes : omniprésence du masculin et du sexe masculin, création de fait de territoires de non-mixités dans la ville en raison de leurs usages spécifiques, et omniprésence masculine parmi les décideurs et aménageurs du territoire.
Pour appuyer ce propos introductif, Maëlle Giard révèle d’abord que, en France, seules 6% des rues qui portent le nom d’une personne sont associées à des femmes. À Lyon, ce pourcentage de noms de femmes représentées dans l’espace public n’est que de 1,1%, et à Marseille, il chute à 0,6%. Plus troublant encore, ces dénominations féminines sont souvent associées à des impasses ou des ruelles. La surreprésentation du masculin se retrouve également dans l’image du sexe lui-même : si ce dernier, au féminin, est polémique, il est omniprésent au masculin à travers des architectures de forme phallique et des graffitis dans l’espace urbain. Pourquoi cette masculinisation de l’espace public ? Maëlle Giard explique que les aménageurs du territoire sont majoritairement masculins : en 2020, le pourcentage de femmes dans les conseils municipaux n’était que de 20%. Ce déséquilibre produit une ville faite pour les hommes par les hommes. Les décideurs du territoire font alors émerger – consciemment ou inconsciemment – des espaces qui ont tendance à produire une non-mixité de genre (cityparc, places, rues, skateparc…). Maëlle Giard développe deux de ces lieux : les jardins d’enfants, et, les plus récents, les « street workout » – des lieux de musculation de rue -. À propos de ceux-ci, elle interroge l’occupation de l’espace public que génèrent ces démonstrations masculines, et ce qu’ils produisent sur la perception de la virilité. Elle affirme que ces lieux où l’on « fait du sport torse nu avec de la musique forte », une pratique généralement inenvisageable pour des femmes, représentent bien le mécanisme de construction des villes selon le genre. Parallèlement, elle nous présente la disparition de certains espaces traditionnels de non-mixité féminine, comme les lavoirs ainsi que l’apparition, aujourd’hui, d’autres espaces de non-mixité féminine comme les jardins d’enfants. Ces débats sont complexes : quand la non-mixité est souhaitable ? Quand devient-elle un frein à l’appropriation de la ville par tous ? Jusqu’à quel point doit-on encadrer mixité et non-mixité ? Diverses approches sont testées dans des situations présentées par Maëlle Giard : le remplacement forcé à certains horaires d’une non-mixité par une autre, par exemple à Mariju, où un skateparc est ouvert à certaines heures aux femmes, et à d’autres heures aux hommes.
Ces problèmes ne sont pas propres à l’échelle urbaine. Maëlle Giard rappelle que les stéréotypes et les valeurs de genre sont accentués et intégrés dès le plus jeune âge. La magnificence et la force semblent être des valeurs attribuées à l’homme, au contraire de l’empathie, de la douceur et du soin qui paraissent être des valeurs associées à la femme. Mais d’où viennent ces stéréotypes ? Est-il possible de distinguer ce qui relève de l’inné et de l’acquis ? Les nouvelles découvertes de la biologie remettent en question cette dernière distinction : les expériences vécues auraient un impact sur nos gènes. Pour autant, pour Maëlle Giard, il est évident que les cultures renforcent les stéréotypes : la figure de la femme en détresse dans la rue, un cliché souvent relayé dans les films, est, par exemple, très présente dans nos représentations et nos imaginaires. Cette peur associée à l’espace public, et relevée dans de nombreux témoignages féminins, n’est pourtant pas nécessairement rationnelle : les agressions dans l’espace urbain sont davantage faites sur des hommes – ou, en tout cas, il y a plus de plaintes de leur part, une information qui ne suffit pas à tirer des conclusions définitives, car il est possible que les hommes portent plus systématiquement plainte que les femmes. Celles-ci mettent place des pratiques d’évitement dans l’espace public : faire semblant d’être au téléphone, ou encore contourner certains lieux ou quartiers présentant des incivilités par exemple.
Ces situations posent des problèmes éthiques, qui amènent Maëlle Giard à se questionner sur le plan méthodologique. Pour décoloniser nos idées préconçues du genre dans la ville, elle nous présente des associations et collectifs, comme Les colleuses, qui dénoncent les dominations et les violences à l’égard des femmes. Comme de nombreuses autres associations, en accord ou non avec l’écoféminisme, celles-ci visent l’émancipation collective. En ce sens, leur modèle pourrait inspirer d’autres collectifs, tel que le mouvement écologique, mais aussi les auteurs de la production de l’espace. Comment requestionner les systèmes de domination dans l’espace public et l’architecture ? Quelles valeurs architecturales donnons-nous au genre dans la ville ? Peut-on reconnaître un bâtiment réalisé pour un ou une architecte ? Les femmes architectes ont-elles appris à se conformer à une pratique et un regard masculins du métier durant leurs études ? Pour leurs futurs projets, les architectes doivent, selon Maëlle Giard, se questionner et se positionner par rapport à ces systèmes de domination de genre dans la ville.